Depuis qu’en décembre 2010 un jeune vendeur de fruits et légumes ambulant s’est enflammé à Sidi Bouziz, éveillant une intifada, c’est l’étincelle, le dégel, et dans mon carnet de février, j’écris :
Mon hiver,
C’est le printemps arabe.
Le jasmin coule.
Le sang est chaud et il tourne.
J’attends le téléphone d’érable
Mon hiver a été sacrifié. Il a défilé au rythme d’un fil d’actualité. Cramponnée à mon écran, baignant dans la laine de l’attente et les sueurs de la lecture intense, j’ai laissé le tumulte des images et la surcharge de paroles des événements de Tahrir Square recouvrir et ensevelir la blancheur.
En d’autres mots, je découvre Twitter, et mon ami Ambroise dira à ce sujet: t’as perdu ta vie ou tu vas la perdre.
Enfin, le printemps réel commence tandis que j’enfile mes bottes de marche et que je sors de chez moi.
En ce beau samedi d’avril 2011, #mitou, je suis prête à m’enflammer, et dans les boucles de sentiers du Mont-Saint-Hilaire, j’offre mes salutations à nos propres titans de l’éveil. D’une verdeur naissante, timide, les bourgeons débourrent. Parmi les brindilles, il y a du trille. Sur un lit de feuilles mortes, je repère la sanguinaire.
Elle n’a l’air de rien, mais elle porte un nom sanguin, expressif.C’est une petite fleur solitaire aux pétales blancs garnie de quelques étamines jaunes, portée par un grand pédoncule vert. Elle s’ouvre le matin et se referme le soir. Sensible. Elle tire son nom du fait qu’elle laisse couler un latex rouge aux heures chaudes de la journée. On l’appelle aussi sang-dragon, parce qu’on lui confère un étrange pouvoir de chevalier : celui d’accroitre la combativité, et c’est son encens que je fais brûler dans ma maison, quand je suis en temps de lutte.
Je te salue, donc, Sanguinaria canadensis
Force bravache de la nature!
Tu ne fleuris que deux semaines.
C’est une chance de te revoir!
Un printemps jadis, dans un boisé du parc de la Gatineau où quelques jours plus tôt la police avait découvert le cadavre d’une jeune femme, un prof de bio t’a présentée à moi comme un marqueur naturel du printemps. Je fis donc un lien et j’imaginai alors qu’on avait dû retrouver le corps sur un lit de sanguinaires.
Et pour X raisons, l’image d’un livre de la collection Frissons: un Noël sanglant, me vint en tête. Ce qui me donna une gelée. *Crédit photo: Google image. Mais, les fleurs ici sont rouges, pas blanches. Va savoir!
Je me demandai si dans l’autopsie du rouge, on avait trouvé mêlé un peu de latex au sang? Et, dans celle du blanc, quelques pétales aux os fragiles, à la peau desquamée? L’image m’émut et je fixai dans ma mémoire une impression que je garde comme vérité :
Dans vie, y’a de la violence
Et de la dure
Dès la naissance: y’a du crevé
Mais un espoir propre perdure
Beau
Une gorgée de sève encore mouillée
Le printemps de la sanguinaire, c’est le printemps poqué. Le soleil qui fait mal, qui surprend le corps, qui fait trembler. C’est le moment de l’année qui rappelle la douleur de la croissance ou l’épuisement du début. Du début de la randonnée, par exemple, quand les poumons sont encore pleins de mucus et qu’il y a le pincement de l’acide lactique dans les jambes.
Tandis que je regarde la sanguinaire, que sur ses pétales s’étalent mots et images, je songe au jasmin blanc, qui lui ressemble tellement. Maniaques de signes, ces petites fleurs! Rhizomatiques! Que ce soient eux qui tremblent, les dictateurs sanguinaires, car même les petites fleurs chuchotent maintenant les choses de la Révolution.
***
Bien sûr, j’écris tout ceci, et un cycle a passé. Printemps 2012, le téléphone d’érable a sonné. Comme l’aboutissement d’un jeu de téléphone arabe, un message de la jeunesse d’ici, transformé, distinct, a émergé. En rando sur les pavés, j’ai loupé la floraison de la sanguinaire. Mais j’ai porté sa sève rouge sur moi, au carré.
LSB, Saint-Vallier, Montréal, juin 2012
Cet texte a été en partie publié dans le recueil Les 4 saisons au Mont-Saint-Hilaire, à la suite d’un atelier nomade mené de front par la Traversée.
Printemps 2011 et 2012: les printemps de la sanguinaire
Ainsi, nous avons basculé dans le printemps.
Depuis qu’en décembre 2010 un jeune vendeur de fruits et légumes ambulant s’est enflammé à Sidi Bouziz, éveillant une intifada, c’est l’étincelle, le dégel, et dans mon carnet de février, j’écris :
Mon hiver,
C’est le printemps arabe.
Le jasmin coule.
Le sang est chaud et il tourne.
J’attends le téléphone d’érable
Mon hiver a été sacrifié. Il a défilé au rythme d’un fil d’actualité. Cramponnée à mon écran, baignant dans la laine de l’attente et les sueurs de la lecture intense, j’ai laissé le tumulte des images et la surcharge de paroles des événements de Tahrir Square recouvrir et ensevelir la blancheur.
En d’autres mots, je découvre Twitter, et mon ami Ambroise dira à ce sujet: t’as perdu ta vie ou tu vas la perdre.
Enfin, le printemps réel commence tandis que j’enfile mes bottes de marche et que je sors de chez moi.
En ce beau samedi d’avril 2011, #mitou, je suis prête à m’enflammer, et dans les boucles de sentiers du Mont-Saint-Hilaire, j’offre mes salutations à nos propres titans de l’éveil. D’une verdeur naissante, timide, les bourgeons débourrent. Parmi les brindilles, il y a du trille. Sur un lit de feuilles mortes, je repère la sanguinaire.
Elle n’a l’air de rien, mais elle porte un nom sanguin, expressif. C’est une petite fleur solitaire aux pétales blancs garnie de quelques étamines jaunes, portée par un grand pédoncule vert. Elle s’ouvre le matin et se referme le soir. Sensible. Elle tire son nom du fait qu’elle laisse couler un latex rouge aux heures chaudes de la journée. On l’appelle aussi sang-dragon, parce qu’on lui confère un étrange pouvoir de chevalier : celui d’accroitre la combativité, et c’est son encens que je fais brûler dans ma maison, quand je suis en temps de lutte.
Je te salue, donc, Sanguinaria canadensis
Force bravache de la nature!
Tu ne fleuris que deux semaines.
C’est une chance de te revoir!
Un printemps jadis, dans un boisé du parc de la Gatineau où quelques jours plus tôt la police avait découvert le cadavre d’une jeune femme, un prof de bio t’a présentée à moi comme un marqueur naturel du printemps. Je fis donc un lien et j’imaginai alors qu’on avait dû retrouver le corps sur un lit de sanguinaires.
Je me demandai si dans l’autopsie du rouge, on avait trouvé mêlé un peu de latex au sang? Et, dans celle du blanc, quelques pétales aux os fragiles, à la peau desquamée? L’image m’émut et je fixai dans ma mémoire une impression que je garde comme vérité :
Dans vie, y’a de la violence
Et de la dure
Dès la naissance: y’a du crevé
Mais un espoir propre perdure
Beau
Une gorgée de sève encore mouillée
Le printemps de la sanguinaire, c’est le printemps poqué. Le soleil qui fait mal, qui surprend le corps, qui fait trembler. C’est le moment de l’année qui rappelle la douleur de la croissance ou l’épuisement du début. Du début de la randonnée, par exemple, quand les poumons sont encore pleins de mucus et qu’il y a le pincement de l’acide lactique dans les jambes.
Tandis que je regarde la sanguinaire, que sur ses pétales s’étalent mots et images, je songe au jasmin blanc, qui lui ressemble tellement. Maniaques de signes, ces petites fleurs! Rhizomatiques! Que ce soient eux qui tremblent, les dictateurs sanguinaires, car même les petites fleurs chuchotent maintenant les choses de la Révolution.
***
Bien sûr, j’écris tout ceci, et un cycle a passé. Printemps 2012, le téléphone d’érable a sonné. Comme l’aboutissement d’un jeu de téléphone arabe, un message de la jeunesse d’ici, transformé, distinct, a émergé. En rando sur les pavés, j’ai loupé la floraison de la sanguinaire. Mais j’ai porté sa sève rouge sur moi, au carré.
LSB, Saint-Vallier, Montréal, juin 2012
Cet texte a été en partie publié dans le recueil Les 4 saisons au Mont-Saint-Hilaire, à la suite d’un atelier nomade mené de front par la Traversée.