Mes fenêtres, Gatineau, #printemps2020
Il y eut un temps où la lumière ne provenait que des fenêtres, lors du printemps 2020, avant l’arrivée de l’été, du #Jardin et des grandes portes ouvertes qui me connectent tout le temps avec #Lui.
Un temps où le premier ministre François Legault dit : « On entame la plus grande bataille collective de notre vie. Une armée de 8,5 millions pour combattre le virus ».
Ainsi le mot d’ordre de rester chez nous est tombé.
Rapidement, les mèmes ont circulé sur internet témoignant de cette ferveur collective d’obtempérer :
« L’immobilité est le plus beau mouvement du soldat »
~ Caran d’Ache ~
Bon. Si les vieux auteurs poussiéreux du début du vingtième siècle le disent, eh bien soit.
On s’est donc retrouvés cloîtrés, claquemurés. Mais, ce n’était pas toujours un cloaque, au contraire ! Du moins, au début…
Sur mon intérieur, je me serai raconté des discours enflammés. « Chéridoux : on a le meilleur épluche-patate du monde ! » m’exprimé-je en reconnectant avec les valeureux objets du quotidien. « Chéridoux, je vais nous faire un jardin de la mort cet été, tu verras, une chance que j’attire les vieux pots à fleurs ! Tu vas voir ce que je vais faire des pots de ma mère, de la belle-mère — ta mère ! — pis de la cousine-croisée… »
J’appelais notre foyer notre maison-bateau. « Notre maison est un navire dans lequel nous voguons, un point d’ancrage dans cette mer houleuse où nous nous organisons et grâce auquel on pourra à l’avenir aborder des contrées passionnantes ».
J’appelais notre domicile notre maison-atelier. « Nous vivons dans un chantier où nous patentons la vie : dans la cuisine, nous concoctons les mets sains qui nous sustentent, dans la salle de bain, nous voyons à notre hygiène et à notre relative beauté et dans la chambre, nous entretenons les braises de l’amour! De plus, nos portables font office de gagne-pain — où qu’on les pose, ça devient The Office — en fait, je devrais dire gagne-farine, gagne-levure… Puis, dans le salon, nous cultivons nos esprits afin qu’ils ne deviennent pas aussi limités que nos corps.
Enfin, cet été, nous aurons un beau jardin, Chéridoux, je te le promets. Ça nous fera un atelier de plus. Ce sera le pont du navire.
L’été, je passe le printemps à l’attendre, à le rêver, à toutes les fenêtres.
La fenêtre source de lumière est un outil commode pour la vie de tous les jours ainsi qu’un espace de préparation pour la vie à venir. C’est l’endroit où je fais mûrir mes fruits et pousser mes semis. Au milieu de tout ça, le chat joue, pianote un peu, parfois, si ça lui chante.
Avec le confinement, je ressemble de plus en plus à mon chat. Astheure, toi et moi, Noiro, on est pareils ! Depuis des semaines, je ne porte que du linge mou et noir afin de camoufler tes petits poils. À ta manière, dès que j’en ai l’occasion, je m’éloigne de l’ordi et me love dans un coin de sofa moelleux. Comme toi, aussi, je suis obnubilée par les 50 nuances de grouillement de tout ce qui se passe derrière la porte-fenêtre. D’ailleurs, qu’est-ce que cette étrange neige, fin avril ? J’ai l’impression que l’été n’arrivera jamais ! (Il viendra, mais on n’y croyait plus, pour un temps, hein, Noiro ?)
C’est maman qui m’a offert ce bout de bois spirituel il y a quelques Noëls et à l’époque je l’avais posé sur le bord de la fenêtre à côté de mon lit. Il y est encore. Je ne suis pas très catho, mais parfois, le matin, quand j’ouvre les yeux et accueille la lumière blanche, je prie. Ces temps-ci, je pense très fort à toi, maman.
Tu es rentrée en ambulance à l’hôpital le 4 mars pour des problèmes de santé non liés à la #covid. On t’a admise juste avant que ça éclate, quand on n’envisageait pas encore le drame. J’ai eu le temps de faire quelques visites avant que l’urgence sanitaire ne soit décrétée le jeudi 12 mars. Ma dernière visite, c’était le vendredi 13, en soirée, après le boulot. Avec Papa, on t’a apporté une pizza végétarienne et de la liqueur. Ton étage où grouillaient les visiteurs quelques jours auparavant était maintenant vide. Il y avait des gardes de sécurité partout. Le lavage des mains et le port du masque étaient obligatoires. Pour moi, c’était la première fois. On trouvait ça drôle. On a pris des égoportraits. On a mangé toute la pizza et bu toutes les liqueurs. Le garde avait bien dit qu’on ne pouvait rien ramener de la chambre. On a écouté de la musique sur le téléphone à papa. On a bavardé. On t’a dit au revoir, à bientôt, et on est repartis. Le samedi 14 mars, l’interdiction de visite dans les hôpitaux est tombée. Et puis, toutes les chirurgies électives ont été annulées, reportées indéfiniment, y compris la tienne. On ne savait pas quand tu aurais les soins dont tu avais besoin, mais ils insistaient quand même pour te garder en observation. Le séjour à l’hôpital qui devait être bref est devenu extrêmement long. Pendant des mois, on ne savait plus quand et si on te reverrait. Pendant des mois, on a joué aux fous pour te parler au téléphone : tu changeais de chambre et d’étage fréquemment tandis que l’hôpital de Hull se réorganisait en zone chaude, zone tiède ou zone froide et que les cas de #covid augmentaient sans cesse chez les membres du personnel hospitalier. Pauvre maman affaiblie ! Prise dans l’œil de l’ouragan !
Si j’ai eu des vertiges, des points au ventre durant le printemps, je savais que ce n’était pas les symptômes de la #covid puisque je respectais les règles du #confinement. C’était de l’anxiété. Une peur en résonnance avec la tienne, maman.
Heureusement, tu es revenue saine et sauve à la maison le 16 juin. Un peu traumatisée, quand même, mais ton sourire quand je t’ai vu… C’était l’été qui commençait !
Je me suis aménagé un petit bureau au sous-sol où il n’y a aucune fenêtre. Enfin, il y en a une, dans la pièce de buanderie, au fond, toutefois, où je suis, il n’y a pas de lumière naturelle qui pénètre.
Toute la journée, scotchée sur mon écran, c’est par les fenêtres de Skype, Google Meet, Zoom, Microsoft Team ou Jitsi — vive la concurrence et la liberté de faire des choix individuels ! — que je connecte avec vos sourires : apprenants, collègues, amis et famille. Vous me faites chaud au cœur. J’ai besoin de vous.
Quand les petites lucarnes de la vidéoconférence s’ouvrent et que vous apparaissez, vous ne le savez pas, mais, du racoin sombre où je suis terrée, parfois, je regarde au-dessus de votre épaule ces petits rayons de soleil qui s’insinuent dans vos intérieurs.
Enfin, j’ai aussi des fenêtres plates, obstruées. Ça m’aura pris cet exercice de flânerie pour me rendre compte que je fermais des yeux. Et pourquoi donc ? Peut-être que mon chum avait raison quand il m’a dit : « Tu as une grande vie intérieure, Chéridouce ! ».
Ennéwé, en ce #printemps2020, j’ai hâte à l’été.
Y’en a marre des laitues iceberg désinfectées
Des tomates cerises bleachées
Du concombre anglais qui vient dans un condom.
J’veux des légumes qui ont mes microbes à mwé !
Hâte de troquer ces twistes salades printanières pour de nouvelles aventures :
Ensalada mixta flyée,
Mesclun pure verdure
Kale meilleur que l’ale
Et puis les fraises d’été
Rouges.
Tu m’entends, bae ?
Mon désir grandit.
Le tien, à twé, ça bouge ?
Il ne faut pas désespérer.
Dans notre maison-atelier,
Sur le bord de la fenêtre,
Les graines ont germé.
Elles poussent sans frousse,
Et bientôt nous pourrons
Changer de rengaine,
Changer de salades.
LSB, Gatineau, printemps 2020
J’ai composé ce texte dans le cadre d’une activité du Retour du flâneur de La Traversée – Atelier de géopoétique sur le thème des fenêtres. Mon texte a été publié ici et vous trouverez bien d’autres perles sur le thème des fenêtres et du confinement ici.