L’oiseau et l’aube, Saint-John Perse

19 mars 2020 Non Par Laurence_Baribeau

L’oiseau, de tous nos consanguins le plus ardent à vivre, mène aux confins du jour un singulier destin. Migrateur, et hanté d’inflation solaire, il voyage de nuit, les jours étant trop courts pour son activité. Par temps de lune grise couleur du gui des Gaules, il peuple de son spectre la prophétie des nuits. Et son cri dans la nuit est cri de l’aube elle-même: cri de guerre sainte à l’arme blanche.

Saint-John Perse (1887-1975), oiseaux

Qu’il, qu’elle, qu’iel

entende

Celui, Celle, Ciel

qui s’apprête à vivre!


Il sonne grave, rogue, fort

Le coup de fouet

L’impulsion de l’aile

De l’oiseau qui décolle!


Il ne convient pas de prendre pour acquis le miracle du matin.

Dès le moment où l’on ouvre les yeux, qu’on bat des cils comme le geai bleu agite, secoue son plumage: on est à veille de s’envoler; ou on pourrait l’être.


Certaines aubes engluent. Oui, engluent.

D’autres, cependant, ont pour legs un vent bravache, un air d’aller si prompt, si pointu que ça trancherait les montagnes.

Ce matin, je me serai levée et lavé les yeux dans cette atmosphère, dans cette photosphère-là.

En effet, sitôt sortie de la langueur du lit amoureux, une fois le piton de la cafetière appuyé afin de démarrer la confection miraculeuse de mon ambroisie noire, j’allai dehors et il y eut miracle.


Tout là-haut paresse un ciel pommelé de nuages

Le soleil a les pommettes d’un mousseux rosé

Il souffle une bise

La lumière est si claire,

ça enivre


C’est si beau que je resterais ici toute la journée!

Je rentre donc me servir du café…

En sirotant ma ciguë noire, les fesses bien calées sur les marches de la galerie, tandis que mes pensées s’éclaircissent et circulent de plus en plus sans heurts, comme l’air libre de beurre, ou plutôt comme cette lumière diaphane qui enveloppe tout maintenant; je me rends compte que, pour vivre, aujourd’hui, il me faudra bien déposer ce mimosa solaire – cette coupe contemplative – puisque je devrai déployer tout ce que j’ai de chair afin de donner le coup de fouet.


M’envoler,

si ça veut dire rentrer,

et écrire,

encore,

avant que je sois née,

soit.


LSB, Gatineau, août 2019