Le dada du Petit Robert
C’est en écrivant qu’on devient écrevisse
Hans Arp
Depuis que Chéridoux a acheté et partagé l’app Le Petit Robert mobile, je m’amuse comme une folle avec son option La découverte de mots qui fait pleuvoir ou neiger des curiosités du lexique de la langue française.
Du doigt, on peut sélectionner parmi les mots qui défilent ceux dont le son nous enchante ou dont la graphie nous intrigue afin de composer une liste, une «cueillette», qu’on pourra examiner plus amplement par la suite.
Ça a l’air de ça:
Après avoir créé de nombreuses listes, j’ai eu envie de me livrer à une petite expérience dans le genre dada et de composer des textes à partir de ces mots hétéroclites choisis de façon relativement arbitraire, tout en respectant l’ordre de ma vendange.
Ci-dessous, vous verrez ce que ça donne.
Pour le moment, j’ai trois textes un brin drôles, les voici, ainsi que les mots récoltés…
Chez l’antiquaire:
pipelette, trinqueur, farandoler, esgourde, colin-tampon, retordoir, uropygial, rais-de-cœur, effruiter, réticuloendothéliale.
Histoire de famille:
trappistine, trophonévrose, daille, guniteur, monophtongue, zutique, micturition, shingle, panouille.
La mourre et la poulitique:
casse-pot, saint-serventine, caracouler, comitard, impétigneux, maximin, empattement, zingaro, entéléchie, chantre, confiote.
* Cliquez sur l’un des titres ci-dessus pour accéder au texte composé à partir des mots qui vous intéressent plus bas dans la page ou continuer de faire une lecture verticale.
** Il est également à noter que, malgré le fait qu’on les donne sur l’app payante, le dico en ligne gratuit le Petit Robert ne comporte pas toutes les définitions de ces curiosités de la langue! J’ai mis celles du Robert que j’ai pu trouver ici. Vous trouverez les liens dans le texte. Pour les autres, j’ai googlisé d’autres définitions et images.
Bonne lecture!
Dada doute de tout. Dada est tatou. Tout est Dada.
Méfiez-vous de Dada.
Tristan Tzara
***
Chez l’antiquaire
Par une resplendissante journée de juin, les sœurs June et Jasmine poussent la porte et s’engouffrent dans l’obscurité d’un magasin d’antiquités situé sur la rue principale de Ripon. De belle humeur, elles bavardent comme deux petites folles. Si elles n’avaient pas respectivement 17 et 15 ans, on pourrait les prendre pour deux belles-mères tant elles sont pipelettes !
— … ce gars-là est un trinqueur ! affirme June, l’aînée, tout de go.
— Et alors? la défie de s’expliquer Jasmine, la cadette.
— Ben, t’entends pas comment il s’exprime ? Il parle toujours de lui. Il n’y en a QUE pour lui.
— Moi, je le trouve drôle… C’est un personnage, mais si tu t’arrêtes à ce que tu vois de lui quand il est en train de farandoler autour du feu de camp pendant les partys, tu ne risques pas de deviner les autres facettes de sa personnalité. Mais, crois-moi, quand tu le connais bien, il est assez cool ! Et, il a une bonne esgourde !
— Ouffe, tu sonnes comme grand-mère Richer ! Je n’ai jamais aimé cette expression ! À mon avis, elle évoque plutôt le contraire. On dirait un type qui, au lieu d’avoir une bonne écoute, aurait plutôt une grosse courge dans l’oreille !
— Hein? Qu’est-ce que t’as dit? J’ai pas bien entendu : j’ai une grosse courge dans l’oreille!
— Niaiseuse! s’exclame June, en claquant les fesses de sa sœur.
Celle-ci sursaute en s’exclaffant.
— Hihi, OK, mais arrête donc avec ton fiel de marde ! Il fait tellement beau aujourd’hui ! J’aimerais qu’on finisse rapidement notre magasinage pour aller se baigner !
— D’accord ! dit June.
— Bonjour mes petites demoiselles ! … Que puis-je faire pour vous ? demande une voix claire et féminine, quoiqu’un peu grave, comme on entendrait dans une grotte.
Les filles sursautèrent. Plongées dans leurs discussions, elles n’avaient pas entendu le squelette de madame Bérangère Jérôme, la propriétaire, se lever dans l’arrière-boutique puis marcher péniblement à leur rencontre.
— On cherche quelque chose…
La dame les dévisage un brin avant d’afficher un sourire bienveillant.
— Ça tombe bien ! Des choses, on en a beaucoup ici, dit-elle en faisant un large geste, comme pour dire « et voici ! ». Vous êtes bien chanceuses, car aujourd’hui nous avons des rabais extraordinaires.
— Super ! Quel genre de rabais ?
— C’est qu’on a fait faillite… On ferme demain, alors, on liquide tout.
— Oh non !
— Pas de vos oignons ! Profitez-en, profitez, profitez ! Je serai en arrière, si vous avez des questions.
— Merci madame.
Tandis que Bérangère tournait les talons, le trémolo de la voix de Claude Barzotti se fit entendre dans la vieille radio qui, depuis derrière le comptoir, crachotait autant de parasites que de paroles :
? La maison dans la colline, je la bâtirais pour toi.
La fougère et l’aubépine, la menthe et le réséda.
Et comme dans la maison dans l’île, les plafonds y seront bas… ?
— Hé madame ! apostrophe June. C’est quoi, ça ? en pointant une espèce de truc…
? Tu verras tout sera facile, loin de tous ces combats.
La, la, la, la… ?
— Ça, oh, c’est rien qu’un colin-tampon. CO-LIN-TAM-PON, répéta-t-elle en allongeant le cou, haussant le ton et prononçant bien chaque syllabe afin de se faire entendre malgré la musique. CO-LIN-TAM-PON! Un « cossin », une « patente », comme vous dites, vous, les jeunes !
— Je vois, répond Jasmine, se disant pour elle-même : « Y’a que ça ici ! ». Mais, ça sert à quoi ? demande-t-elle sérieuse en s’apercevant que l’objet intéressait sa sœur.
— Ça s’appelle un retordoir, c’est un outil de tisserand qui fait une torsion inverse aux fils… Ça vous intéresse ? Je peux vous faire un prix d’amie !
— Non, mais on reviendra si un jour on veut se confectionner du linge tordu ! coupe malicieusement June.
— C’est aujourd’hui ou jamais, on ferme boutique demain… rappela la tenancière.
— C’est vrai ! Et c’est bien dommage, madame, j’ai de la peine pour vous… répondit Jasmine l’air contrit.
— Z’êtes bien gentilles! Bon, je vous laisse…
La dame se tait et se meut toujours aussi difficilement vers le comptoir. Pendant ce temps, Claude Barzotti serine ses dernières paroles.
? La maison d’Irlande, on la rebâtira.
Quelque part dans les Landes, ou près de Carpentra.
La, la, la, la, ?
— Elle est tordante, tu ne trouves pas ?
— Oh, je me tords de rire, haha ! Bon, June, comment on fait là ? interroge Jasmine, désemparée par l’ampleur du bric-à-brac.
En effet, les étagères regorgent de tout. Du neuf, de l’ancien, des bibelots, des objets religieux, de la quincaillerie, toutes sortes de matériaux, de vieux électroménagers… Devant, derrière, dessus, à côté des étagères… Bref, partout où il y avait de la place, avaient été disposés des meubles vintage sur lesquels étaient posés, dans un équilibre précaire, des objets aussi hétéroclites que poussiéreux. Un cri et tout cet échafaudage semblait pouvoir s’écrouler
— Commence ici, je vais commencer par l’allée du fond. Comme ça, on va se retrouver au milieu. Et, si tu vois quelque chose, crie !
— D’accord !
Les filles s’engagent chacune dans leur allée respective.
— Jasmine !
— Oui, j’arrive, June !
— Non, reste où tu es… Écoute, plutôt. Uropygial ! s’écrie-t-elle. U-ro-py-gial ! prononce-t-elle, syllabe par syllabe, comme charmée.
— Heu ?!
— Devine de quoi il s’agit !
— Serait-ce un dinosaure ?
— Non….Presque, en fait! C’est le titre d’un livre: Uropygial : du croupion des oiseaux!
— Quoi?!
— Ouais, sur la quatrième de couverture, ça explique que les plumes uropygiales, c’est les plumes du cul ! Les plumes qu’on retrouve au cul des oiseaux !
— Uropygial! Esti, faut qu’on dise ça aux gars!
— Tellement!
— Attends, je texte Marc-André drette live, hihi. Jasmine pitonne comme si sa vie en dépendait. U-ro-py-gial ! OK : j’envoie !… Mais, il sert à quoi ce livre ?
— C’est un manuel pour la confection de chapeaux d’époque ! explique de sa voix de coffre la vieille dame toujours installée derrière son comptoir.
— Ah ouais ? Franchement, on aura tout vu !
— Oui, nous avons de tout ici… Ça vient de Montréal pour magasiner ici… mais, ça ne reviendra plus. Demain, c’est fini…
Cette fois-ci, les filles n’osent répondre et préfèrent poursuivre l’inspection des allées, jusqu’à ce que…
— Ça y est, j’ai trouvé les tissus et… wow, y’en a un avec un imprimé vraiment malade ! Viens voir ! s’écrie Jasmine.
— Hein, montre-moi ça ! s’exclame June en se précipitant vers sa sœur.
Près d’un mannequin de bois, des tissus de toutes sortes s’entremêlaient dans un panier d’osier. Ils avaient probablement dû être proprement pliés, y être disposés avec soin, seulement, après la fouille effrénée de Jasmine, tout cela ressemblait maintenant à un joli pêle-mêle… Helter skelter.
— Il est beau, hein! se pâme Jasmine brandissant tel un étendard l’étoffe de coton léger.
Les deux filles admirent l’imprimé qui comprend un ornement de feuilles aigües alternant avec des fers de lance.
— C’est un motif de rais-de-cœur! Un thème, ma foi, fort élégant et popularisé à la Renaissance, leur dit la tenancière d’une voix très posée.
— Il est si beau, Jasmine ! Belle trouvaille ! J’aime tellement que j’pense que je vais faire une crise cardiaque !
— On le prend!
— Oui!
— Oui, oui!
— Oui, oui, oui!
— Bon, je vois que vous êtes emballées, les filles! Voulez-vous que je vous l’emballe?
— Oui, s’il vous plait ! Combien de pieds vous en avez ?
— Juste 2, ceux que vous voyez !
— Bon, on pourrait en faire deux mini-jupes ? Une pour chacune ? Ou ce sera assez pour faire un ensemble complet pour l’une de nous deux ?
— Heu… si tu portes un ensemble complet dans ce motif-là, tu auras l’air d’une grosse too much et fuck le regard béat du beau Xavier ! Non, je pense que ce serait mieux de faire une jupe pour toi et un top pour moi.
— Vendu ! That’s it! C’est ça qu’on fait.
— Mais, tu voulais autre chose, non, June ?
— Oui. Madame, avez-vous des aiguilles de machine ? J’ai brisé la mienne en cousant sur une autre aiguille, une à piquer…
— Oui, vous trouverez tout le matériel de couture sous ce comptoir en verre, là. Si vous voulez, dites-moi ce qui vous intéresse et je vous le sors…
— Merci.
June et Jasmine inspecte minutieusement l’arsenal de boutons de toutes formes, les fils de toutes textures, les pelotes, les ciseaux de tailleur…
— OK, je vais prendre l’aiguille, taille 10… Aaah ! Y’a tellement de trucs ! Faut revenir…
— Impossible… rappelle la dame.
— Ah ouais…
June se tourne vers sa sœur.
— Qu’est-ce que tu penses de notre cueillette, Jasmine ?
— Écoute, on n’a pas trouvé tout ce que t’avais en tête, mais t’es sûre que le retordoir et le livre sur les plumes uropygiales, ça t’intéresse pas ? On aurait tellement l’air fucking cool à ton bal dans une robe au fil inversé et un beau chapeau avec une plume de croupion !
— As-tu l’argent pour ces conneries-là dans ton compte en banque, toi ?
— Non… Pas si on veut boire à l’after-ball.
— Ben, moi non plus ! Avec l’autre tissu noir flash qu’on a à la maison, je dis qu’on est bonnes !
Elles passent à la caisse. La dame désigne le sac qui se trouve à sa gauche.
— Voilà votre gros lot! J’imagine que vous savez qu’on accepte seulement le sonnant et trébuchant? Ça fera 17,75 grosses piasses.
— Les voici. June fouille dans sa sacoche en faux-cuir vegan et en sort les billets et pièces nécessaires. Tu m’en dois une!
— Je sais, mets ça sur mon bill…rétorque Jasmine, qui compte sur la mémoire déficiente de sa soeur, ou sur le fait qu’elle n’inscrit que rarement des I.O.U. dans son téléphone…
— Je vous remercie pour tout! signe Bérangère, finale. Passez une bonne journée !
— Merci, vous aussi, et bonne faillite! signe June, pipelette.
Les deux filles poussent la porte de la boutique, heureuses de sortir du noir.
Sitôt à l’extérieur, l’air chaud étouffant agit comme le fouet qui les mènera vers de prochaines aventures…
— On texte Marc-André et Jason pour savoir si ça les tente de se baigner?
— Non, ils effruitent aujourd’hui. T’as pas lu leur profil fesse de bouc ? Ils aident Momo aux champs.
— Ils cueillent quoi ?
— Les asperges, les fraises, les autres trucs de juin, qu’est-ce que j’en sais ?
— On ira aux chutes juste toi et moi, alors ?
— Oui, une crotte sur le cœur ?
— Bof : réticuloendothéliale !
LSB, Gatineau, mai 2020Histoire de famille
Montréal, quartier Villeray, dans un appartement situé au 2e étage d’un immeuble, trois amis assis autour d’une vieille table en bois finissent un déjeuner composé de croissants dépareillés et de café – croissants aux mûres et fromage à la crème, croissants pommes et cardamome, croissants margarita, quelle affaire!
Dans ce coin salle à manger jouxtant la cuisine, pièce où règne une douce pénombre, Juju et Lolo, amis de longue date, savourent une digeste-clope tandis que Robinou, le conjoint de Juju, débarrasse la table en faisant des va-et-vient entre celle-ci et la cuisine.
— Qu’est-ce qu’on fait maintenant ? interroge Lolo entre deux ronds de fumée.
— J’en sais trop rien, fait Juju en haussant les épaules.
C’est alors que Robinou les rejoint et dépose une boîte à souliers sur la table.
— Qu’est-ce que c’est que tu nous amènes ? demande Lolo, qui, afin de jeter un coup d’œil, allonge son torse sur la table…
À l’intérieur de la boîte se trouvent de vieilles photographies, la plupart en noir et blanc, des entrefilets de journaux et de grandes feuilles blanches pliées que Robinou ouvre consciencieusement, laissant entrapercevoir des lignes et des rectangles colorés.
— Robinou a une nouvelle passion, dit Juju. Il fait de la généalogie !
— Ah ouais ! s’exclame Lolo.
— C’est mon passe-temps de fin de semaine ! explique Robinou, en montrant une de ses grandes feuilles où l’on peut apercevoir les ramifications complexes d’un arbre généalogique inscrites à la mitaine.
— Cool ! Tu as des ancêtres célèbres ?
— Pas vraiment… Quoique l’on puisse toujours trouver un lien, un ancêtre entre nous et une personne connue, n’est-ce pas ? La fameuse théorie des six degrés de séparation… Mais, c’est pas ça qui m’intéresse…
— Ah, mais, y a-t-il quelqu’un en particulier qui sorte du lot ?
— Pas vraiment…
— J’essaye juste de te faire jaser, Robinou…
— Hum. Alors, je dois dire que j’aime bien Marie-Blanche Ladouceur.
— Cool. Qu’est-ce qu’elle a de spécial ?
— Rien. Quand mes grands-parents ont appris que je m’intéressais à la généalogie, ils m’ont donné plein de photos. Et c’est l’ancêtre la plus lointaine dont j’en ai une. Je l’aime bien, parce que je trouve juste qu’elle a l’air d’une grand-mère super gentille.
— Qu’est-ce que tu connais à son sujet ?
— Pas grand-chose. Elle a été trappistine dans sa jeunesse. J’ai trouvé un registre sur les internets qui indique que…
— Pardon ?
— C’était une religieuse qui suivait rigoureusement les règles cisterciennes des trappistes…
— Si elle trappait, elle devait pas être La douceur…
— Mais pas du tout… ça n’a aucun rapport avec la trappe.
— Comment tu sais ?
— Le Petit Robert !
— OK ! Et quel est son lien par rapport à toi, à Marie-Blanche ?
— Elle fait partie de la 5e génération du côté des Beaujardin.
— C’est quand même éloigné…
— Je trouve que c’est plutôt proche.
— Si tu le dis… Quelqu’un d’autre qui se démarquerait ?
— L’arrière-arrière-grand-tante de la fesse gauche est morte des complications d’une trophonévrose, pas vrai, Robinou ? remarque Juju, un brin narquois.
— Oui, Juju a raison. C’est une affection caractérisée par des troubles trophiques que l’on ne peut rattacher à une fonction nerveuse.
— Shit, ça a l’air méchant. Est-ce que c’est une maladie génétique ?… Genre, que tu pourrais avoir ?
— Hum, peut-être, je sais pas. Mais, je ne pense pas que ce gène-là soit passé de mon bord ; j’en aurais entendu parler, répond Robinou, tendu.
— Ou pas, Robinou. Ce genre de choses, c’est souvent tabou dans les familles, rétorque Juju.
— Ouais, répond Robinou, agacé.
— Hum. Inquiétant! D’autres destins, métiers intéressants ? relance Lolo.
— Bof, pas tant que ça. Au Québec, il y a toujours beaucoup d’agriculteurs.
— Ouais, c’est redondant…
— Mais c’est très intéressant quand même ! Pour moi, c’est toujours un trésor lorsque je tombe sur une vieille photo… Regarde, ici Alcide avec sa faux et sa daille.
— Je comprends que dalle !
— Il s’agit d’une pierre qui sert à aiguiser les faux !
— C’est fascinant ! Hein, Juju, que c’est fascinant ? s’exclame Lolo.
— C’est pu fascinant quand ça fait un an… Il fait que ça, il ressasse ça tous les samedis !… Bon, vous deux vous avez l’air partis. Je vous laisse… Je vais prendre une douche…
— Bonne douche !… Et puis, à part des agriculteurs, des membres du clergé, Robinou, quoi d’autre ?
— Du labour, d’la main-d’œuvre : des gens dans la construction ! Comme mon arrière-grand-père guniteur.
— Guni…
— Guniteur ! Un opérateur de machine destiné à asperger de gunite les éléments d’une structure, comme la fondation d’une maison !
— Ah !
— Ah ! encore et toujours « ah ! ». Toi et tes monophtongues ! Pourquoi pas « oh », « eh », « hi » ?
— C’était phatique…
— Ah ! Et toi, en connais-tu un peu sur ta famille ?
— Hum. Je sais qu’il y a quelques fiertés : Guillaume Couture qui a marié la fille de Louis-Hébert et qui a reçu le fief de Lévis. Tom Caribou (Thomas Baribeau), le plus célèbre coureur de la chasse-galerie, grâce à Louis Fréchette, reconnu aussi pour être l’un des plus grands trous sans fond du Canada français : il buvait.
— Je vois !
— Mais, comme toi, ce sont les moins célèbres qui m’intriguent, ceux dont j’ai juste entendu parler et dont je ne connais rien : Célina Cayen de Maniwaki, d’où ma mère Célyne tire son prénom. Les Ébachères m’intriguent aussi… mon sang allemand.
— Tu as du sang allemand ?
— Alsacien, ce qui est la même chose. Ne me dis pas que tu ne m’as jamais regardé sans te dire : cette fille-là a l’air d’une grosse bacaisse, d’une grosse fräulein allemande ?
— Heu…
— Ennewé. Oh, et j’ai aussi entendu dire qu’y aurait eu un zutique du côté des Baribeau, quelqu’un qui faisait partie du même cercle que Rimbaud et Baudelaire !
— Pas vrai !
— Effectivement, ce boute-là est pas vrai ! Mais, j’aurais aimé avoir un maudit poète dans mes ancêtres… Ça aurait fait classe dans ma mythologie personnelle…
— Alors, tu devrais te mettre aussi à la généalogie, je suis certain que tu en trouverais un… Les six degrés de séparation !
— Oui… Peut-être… Mais, qu’est-ce qu’il fait encore, Juju ? J’ai vraiment envie de pisser !
— Il ne doit plus en avoir pour longtemps…
— Ah, j’aurais dû y aller avant qu’il s’enferme dans les toilettes… Il nous l’avait annoncé et tout…
— Ça presse vraiment ?
— Oui… Sache que j’ai fait une infection urinaire il y a trois semaines, suite à mes menstrues. Même si ma doc m’a prescrit des antibiotiques pour régler ça, j’ai encore de la micturition… J’ai très fréquemment envie d’uri…
Juju sort alors de la salle de bain…
— Ah ! Ben, ça y est quand même ! Une chance, parce que je pouvais plus me retenir ! clame Lolo en se précipitant vers les toilettes.
Entre-temps, Robinou et Juju ont une conversation au sujet de leur nouvel amant Sébastien.
— Penses-tu qu’il va nous appeler cette semaine ? On avait parlé de se voir le weekend prochain, non ? demande Juju, excité mais anxieux.
— Ben, sais-tu, j’pas sûr ! C’est pas le weekend où il a dit qu’il devait poser du shingle ?
— Ah, peut-être… Ouais, ça me dit quelque chose… Dommage ! Parce que, tu sais, c’est pas comme ça que je vais m’exciter la panouille !
À ce moment Lolo sort des toilettes et rejoint la tablée tandis que Robinou replie soigneusement ses grands feuillets faisant ainsi disparaitre les arbres généalogiques.
— La pa quoi ? interroge Lolo.
— La panne, grosse nouille !
— …
— Bon, on n’entrera pas dans les détails, mais, si vous avez fini avec la généalogie, on joue-tu à un jeu ?
LSB, dans la Greyhound entre Montréal et Gatineau, novembre 2019
La mourre et la poulitique
Ici, nous surprenons Léandre Potvin-Rondeau et Marilie Juniper au café végan l’Alligator rose in situ rue Saint-Denis, à Montréal, Quartier latin. Autour d’une pinte et d’un panini, les deux ont une conversation agitée…
— Tu veux savoir de quel bois je me chauffe ? Eh bien, je vais te le dire ! Sache qu’il y a un arbre péruvien que l’on appelle le casse-pot, oui oui : tu mets une de ses bûches dans le feu et il fait éclater le pot en terre cuite qui aurait le malheur de s’y trouver! s’enflamme Marilie, avant de recaler sur ses oreilles son bonnet andin, son ch’ullu.
— Bon, l’histoire du brahmane all over again, hein, Miss Univers ? Mais, veux-tu bien me dire à quoi ça sert, du bois qui casse les pots ? interroge Léandre.
— Ça sert à ébranler le système patriarcal ! répond Marilie.
— Ben, voyons !
— Si! Tu connais pas la trope de la femme pot-au-feu?
— Non.
— Bin va savoir!
— Ouffe. Je te dis que tu me fais penser à mon ex, une vraie Saint-Servantine! Elle avait eu la chance de grandir au bord de la mer. Quand je l’ai rencontrée, tout de suite je l’ai trouvée douce et polie, comme le bois de mer de la 132 qu’on trouve partout sur les berges en s’en allant en Gaspésie. Celui-là même dans lequel on sculpte héron, crabe et mouette. se remémore Léandre, rêveur. Celui qui, à prime abord, n’a pas l’air de casser les pots!
— Tu pensais te la sculpter, ta meuf?! Écoute, shui tellement pas surprise.
— Oui, mais la mer avait déjà fait son œuvre et forgé la fibre de son caractère. Rapidement, je me suis rendu compte qu’elle était plutôt tel le voile gris bleu de la tempête ! Toujours à la veille d’exploser, comme toi !
— Hon ! Pauvre tourtereau qui caracoule ! Il a perdu sa tourterelle !
— C’est vrai que tu lui ressembles quand même. « De quel bois je me chauffe ? » « De quel bois je me chauffe ? » « De celui qui fait tout exploser ! » Pfff. Je ne sais pas ce qui m’a pris de chercher l’âme sœur dans la politique, de chercher quelque chose chez les comitards et les comitardes… Tous des Assis Explosifs, vous êtes !
— Et toi, t’es pas tanné d’être bien Calme Debout dans ton coin ? Moi, les rêveurs incapables qui se rebiffent quand leurs rêves se brisent – et ça brise toujours, les rêves, comme les vagues de la mer de leur intellect oh so vague… Toujours à côté de la plaque ! Regarde ! Du doigt, elle pointe l’eczéma de Léandre. Ta douceur, ton espoir t’auront rendu impétigineux !
— C’est vrai que je ravale tout. Ouais, je refoule beaucoup. J’aimerais moins, des fois, mais shui chill, j’y peux rien. Malgré tout, je continue de croire que, tous les deux, nous faisons notre minimax – ou notre maximin, c’est à dire du mieux qu’on peut, mais jamais autant qu’on veut. Jamais comme on rêve…
— La belle affaire ! Parle pour toi !
— Mais, c’est pourtant vrai ! Nous sommes beaucoup plus semblables que tu ne le penses ! Écoute, la maçonnerie du mur qui s’étire entre nous, empattement, paroi, rebord, n’est que l’illusion créée par nos personnalités individuelles auto mythifiées et portées aux nues par les donneurs d’opinion opiniâtres de la société qui pullulent sur les réseaux sociaux. Ce sont eux qui récoltent les dividendes de la division !
— Arrête de faire du mansplaining !
— Je ne fais que partager ma lecture politique…
— Zingaro !
— Quoi ?
— Nomade intellectuel !
— Et pourquoi ne le serais-je pas ?
— Parce que c’est mou ! C’est pas solide…
— Je ne suis pas d’accord ! Ça demande du cran de dire : « Moi, je ne sais pas toujours. Moi, je navigue. » Mais, tu avais raison quand tu disais que j’étais un Calme Debout. I’m a seeker!
— Comme Harry Potter au Quidditch, genre ?
— Genre ! Je scrute l’horizon, toujours je cherche…
— Une boule en or !
— Deux boules en or !
— Oh… Ah ah ! Mais, trêve de bavardage, à quoi penses-tu qu’il faut en venir si ce n’est à la grande destruction du système ?
— L’entéléchie !
— Et ça chie quoi en hiver, l’entéléchie ? Ça regarde quoi à la télé, l’entéléchie ?
— Chez Aristote, l’entéléchie signifie l’état de parfait accomplissement de l’être !
— Bon, voilà… Le Roi est nu ! Un comitard comme toi, chantre de l’individualisme ? Seriez-vous au bon endroit ? Monsieur le nomade, vous errez ! Et vous errez vers le Centre, qui plus est !
— On n’attire pas les mouches sans un pot de confiote!
— Qu’est-ce que tu…? N’insinue JAMAIS que shui au centre ! dit-elle, rouge comme une pivoine ! Ou… comme le drapeau marxiste-léniniste, ou celui de la Chine communiste, ou alors comme le logo du Collège Rosemont, qu’elle avait fréquenté dans sa prime jeunesse… l’année passée.
— OK, c’est bon, j’ai compris, répond Léandre, déconfit.
— N’insinue plus jamais que shui molle ! Ou je casse ton pot de confiture ! Tous tes pots ! explose Marilie.
— OK, OK …
Léandre tend une main vers le centre de la table pour rejoindre celle de Marilie et l’enserre, tandis que celle-ci hyperventile les yeux vers le ciel.
— Qu’est-ce que tu me veux ? demande-t-elle, au bout d’un moment, en reposant son regard sur Léandre.
— Me donnes-tu une autre chance ?
LSB, Gatineau, novembre 2019