Iel Docteur

2 avril 2020 Non Par Laurence_Baribeau

Récit d’une baignade

Lors d’une baignade rituelle avec mon neveu Tristan, 5 ans, à la Pointe-à-Rossi — une presqu’île de sable aux allures de batture que nous pouvons rejoindre facilement à la nage en traversant le chenail devant chez nous — tandis que nous atteignons le « pas creux », une zone où ses pieds touchent au fond et où il peut retirer son VFI, aussitôt arrivés, il me balance un beau « OK, Lolo, là, on joue ! »

— D’accord, bin, moi je dis qu’on joue à s’améliorer à nager ! Je dis qu’avec un peu de pratique on peut devenir les meilleurs poissons du monde entier ! Qu’est-ce que tu en dis ? je lui demande, sachant très bien que c’est jamais moi qui décide du jeu.

— Heu, non, pas ça…

— OK, à quoi veux-tu jouer d’abord ?

— On joue au monstre du lac Simon, et c’est toi qui es le monstre !

— D’accord ! Roaaar ! je gronde.

J’accepte de bon cœur puisqu’un peu de bonne et vivifiante bataille aquatique, ça fait toujours partie de la game d’une baignade, rituel oblige !

À la minute où je plonge pour commencer ma course-poursuite en l’éclaboussant du moins — qui a l’air du plusse — que je peux, il m’arrête : « Wo, heille, attends, on joue pas tout de suite ! » « Non ? Comment ça ? » je rétorque. « Non ! » avertit-il, sérieux. « Premièrement, faut que je te dise qui shui, voyons ! » « OK, bin, t’es qui toi ? ».

— Faut que tu saches que moi, shui immortel pis j’peux voler ! Dans mon dos, j’ai des ailes et j’ai des propulseurs en dessous des pieds ! Pis aussi, cachés sous mes ailes, il y a des fusils et des mitraillettes. En plus, j’ai des grenades dans mes poches ! Pis, au bout de mes doigts, j’ai des griffes longues comme des couteaux !

— Heu, comment tu vas faire pour te jouer dans le nez avec ça ?

— Bin, j’peux les enlever, là, y’a pas d’problème ! Si je veux, elles se renfoncent toutes comme dans ma peau !

— Elles sont rétractiles ?

— Hmm… c’est ça ! Pis mes couteaux sont aussi des projectiles !

— Bon, bin, toi, hein, tu…

— Attends, j’ai pas fini ! Je t’ai pas dit encore que mes yeux sont des rayons laser pis que, si je veux, shui capable de t’hypnotiser ! Pis, aussi, si j’dis « freeze » t’es obligée de t’arrêter…

— OK, OK, j’ai compris… T’es juste comme trop fort !

— C’est ça ! 

— Heu, bin, OK. Mais, j’ai quoi, moi, alors ? Il me semble qu’il ne reste pas grand-chose en matière de super-pouvoirs…

— Bin, toi, t’es le monstre du lac Simon !

— Oh, oui, c’est vrai, j’avais oublié ! Bon… Alors, moi, mon super-pouvoir, c’est la nage, oui ? J’ai des archigrosses palmes de la mort aux pieds, faque j’me déplace à la vitesse de l’éclair… Pis j’ai un corps de serpent ! Shui vraiment slick, comme tu dis, quand je nage, ça fait aucun bruit. J’ai aussi des branchies. Je peux respirer sous l’eau. Pis j’ai des lunettes magiques que tes mains ne peuvent EN AUCUN CAS saisir, toucher, approcher — je me baigne souvent avec mes lunettes et je les protège comme je peux ! — Avec ces lunettes, je peux tout voir dans l’eau. En plus, j’ai des écailles puissantes, impénétrables, donc, tes couteaux et tes projectiles, ils ne servent à rien, et…

— Non !

— Non quoi ?

— T’as pas d’écailles, c’est moi qui ai des écailles ! Pis t’as pas d’palme non plus ! C’est moi qui..

— Heu, non, mon cher, tu ne peux pas avoir de palmes ! Après tes pieds, tu as des propulseurs !

— Bin, non, là ! Bin oui, j’veux dire, mais, moi, mes pieds sont des palmes pis les propulseurs sont attachés en arrière !

— Hmm… tu veux dire un peu plus haut, genre sur les mollets ?

— Oui, les propulseurs sont sur mes mollets !

— Je vois !

— Ça y est, maintenant, on joue !

— OK, mais là, moi, franchement, shé pu trop quoi faire ! Me semble que c’est perdu d’avance ! Amanché comme t’es, moi shui un monstre du lac Simon qui se sauve loin longtemps… J’ai l’impression que pour engager une bataille, il faudrait qu’on soit à armes égales, non ? Aucune créature rationnelle ne s’attaquerait à un diable comme toi ! Je me sens épuisée, et ce, avant même de commencer !

— Bin non, t’es pas épuisée ! Allez, on joue !

— Non, tu me fais trop peur !

— Bin là, dis-toi que tu l’sais pas… Fait à semblant que tu l’sais pas ! 

— Comment ? « Fait à semblant » ?

— Bin, c’est parce que, Lolo, là, j’ai l’air juste d’un enfant, OK ? Pis, si tu penses que je suis juste un enfant, tu vas vouloir m’attaquer !

— …

— OK, faque t’es le monstre pis tu veux m’attraper. GO, LÀ, ON JOUE !

Oui, chéri, tu as raison. C’est ça jouer : faire semblant. J’étais trop sérieuse, un moment. Le pouvoir d’évocation des mots m’aura séduit et trompé : l’enfant que tu es s’est mélangé à ce que tu voudrais être, et ça m’aura terrifié.

Je me remets à te splasher, à te sploucher du plusse — du moins — que je peux, afin de t’agacer un p’tit peu. Puis, je fais mine de me sauver à la nage, et je reviens en rugissant « Roaar ». Ça te fait rire, mais…

— Hé, va pas trop loin !

— Regarde comme je vais vite ! que je m’écrie, en me prenant au jeu. Tu sais comment ça nage, un bon monstre du lac Simon? En battant des pieds sous l’eau. C’est comme ça qu’on avance : en se propulsant dans l’eau, parce que, tu sais, si tu bats des pieds sur l’eau, ça fait des splash, oui, ça fait revoler de l’eau à qui mieux mieux, oui, et ça a l’air méchant, bien sûr, mais nous, les meilleurs poissons du monde entier, on veut pas avancer dans l’air !

Oh la la. Matante ne te perd pas de vue, Tristan, ni ce qui compte, ni ce qui se passe en ce moment. Jeu ou pas : tu apprends à nager. Sans ta veste, tu es bien vulnérable. C’est ton premier été dans l’eau, vraiment dans l’eau, et tu mimes ce que tu penses que c’est, nager. Tu bats des jambes très fort, tu en envoies pas mal, mais après 15 secondes, tu es épuisé.

— Tu veux qu’on remette ta veste pour continuer de jouer ? Tu serais mieux…

— Oui.

— Bon, viens me voir et rappelle-toi qu’éclabousser n’est pas nager, chéri…

— Mais non, on joue, là ! Toi, viens me voir et je vais te tirer avec mes mitraillettes et tu vas mourir dans l’eau !

— OK, j’arrive, prépare-toi !

Tu es super-puissant, oui, et moi je suis un monstre, d’accord, mais je suis quand même capable de t’enseigner quelques trucs, du moins, ceux que je sais bien ! En espérant que ça rentre un peu dans ton ciboulot. C’est peut-être ça, mon vrai super-pouvoir…

***

En soirée, j’accroche mon frère Félix, la tornade, père de la mini-tornade, alors qu’il s’affaire au barbecue. Tout en retournant des côtelettes de porc, on jase de notre journée.

— Comment s’est passée la baignade ? J’espère que Tristan a été un bon petit garçon.

— Oui, c’était super, mais, sais-tu, y’a eu pas mal d’inflation depuis les années 80-90 en matière de super-pouvoirs ! C’est tout un arsenal qu’ils ont les petits gars d’aujourd’hui . Ouf !

— Oui, hein ? Il est très inventif… Il t’a pas trop massacrée ?

— Bin, il aurait pu… Heureusement, cette fois-ci, il ne s’est pas emporté dans le jeu au point de jeter mes lunettes à l’eau, comme la dernière fois…

— Très bien, alors !

– Ouin. Enfin. C’est fou, quand même ! Il est jeune ce coco-là : minuscule. Pis déjà, ça ne se bombe pas le torse comme la pistache que c’est ! Il faut toujours que ce soit lui le meilleur, lui le plus fort, gna gna gna…

— Hihi, justement, il est tout petit ! Et comme tous les p’tits gars, il rêve d’être grand, fort et puissant : invincible !

— Ouais…

Un héros spécial spatial

Les super-héros, les super-tit-gars, j’y ai repensé, et, en y repensant, les mots utilisés par Steven Moffat pour parler de Doctor Who, un héros à moi, me sont revenus à l’esprit.

Nos héros sont importants. Ils en disent long sur qui on voudrait être. Quand vint le temps de créer iel Docteur, comme arme, on ne l’équipa pas d’un fusil, mais plutôt d’un outil : un tournevis, afin de réparer, de régler des choses. Aussi, pour se déplacer, on ne lui donna ni un tank ni un vaisseau guerrier de type X -Wing, mais une cabine téléphonique à partir de laquelle il est possible d’appeler « à l’aide ». On ne le dota pas non plus de super-pouvoirs. Il n’a pas de lasers dans les yeux, non, mais il possède un deuxième cœur. Et ça, c’est extraordinaire ! Il ne viendra jamais le temps où nous n’aurons plus besoin d’un héros comme iel Docteur.

Steven Moffat, showrunner de Doctor Who, 2010-2017, traduction LIBRE de sa citation célèbre par votre serviteurE…




Pour des générations de p’tits gars et de p’tites filles au Royaume-Uni, The Doctor est un héros, un qui inspire, un qui fait rêver. 

L’émission un brin psychédélique créée dans les années 60 qui en est maintenant à sa 13e incarnation du personnage est toujours très populaire 60 ans plus tard. Son fanbase rassemble maintenant des individus de tous âges et de partout dans le monde, incluant votre serviteurE.

Il se passe quelque chose en ce moment alors que ce personnage traditionnellement masculin créé dans les saintes sixties s’est régénéré, pour la première fois, en femme ! Malchanceuse la 13e incarnation ? Au contraire !

Malgré les ennuyeuses polémiques initiales, le personnage joué par l’actrice britannique Jodi Whittaker cartonne ! Faut croire que « It was time » « Le temps était venu », comme on dit.  

Celui, celle, ciel que j’appelle maintenant amicalement iel Docteur, en françaisau lieu de The Doctor, pour traduire l’aspect non genré – j’aime aussi que ça sonne un peu weird, ça lui va bien – est un personnage qui m’inspire énormément. J’envie surtout sa liberté, son érudition, sa folie, son sens de l’éthique et sa résilience. 

Peut-être aussi que son immortalité et le fait qu’iel a comme terrain de jeu « all the time and space » me font saliver ? Ah !

En effet, iel Docteur est un extra-terrestre de la race des Seigneurs du temps originaire de la planète Gallifrey. Un jour, iel en eut marre et emprunta sans permission — iel vola — une machine à voyager dans le temps : une Tardis.

Votre serviteurE devant la Tardis – Temps À Relativité Dimensionnelle Inter-Spatiale – Montréal, mars 2018.

Depuis, iel voyage sans répit, visitant toutes les époques et trainant ses drôles d’habits dans tous les racoins de l’univers — avec une prédilection pour l’Angleterre — toujours accompagné de camarades humains. Se faisant, iel rencontre les êtres les plus «spéciaux spatiaux», fréquemment en conflit, et tente d’aider les parties à se réconcilier. Et ce n’est jamais facile, jamais évident. Des fois, c’est même dramatique. Et iel Docteur porte ces blessures-là, et les fans les portent avec iel.

D’ailleurs, merci aux auteurs du show de si bien écrire, par métaphore, les défis de l’altérité !

La longévité du show et la passion intemporelle générée par celui-ci partent, selon moi, du personnage principal qui a le pouvoir de se régénérer s’il est mortellement blessé. Chaque nouvelle incarnation amène un nouveau visage, une nouvelle personnalité, de nouvelles aventures. En fait, tout est remplaçable dans ce show, à part la prémisse que nous connaissons. On peut changer les compagnons, les auteurs, les équipes de direction, etc. À chaque nouvelle incarnation, on ouvre un peu plus grand les portes de l’imagination, et c’est ça qui brise les plafonds de verre, c’est ça qui fait de Doctor Who un des shows les plus créatifs de l’histoire de la télé.

Mais ça cause aussi une singularité : la liberté d’iel Docteur qui a parcouru et qui continue de parcourir, à sa guise, « all the time and space », devient la nôtre. En effet, l’archive de l’émission est tellement gigantesque qu’on a l’impression de surfer dans un univers infini.

Hmm…

Comme je disais, ça inspire, et c’est bon!

Tandis que la vie nous amène toujours de nouvelles circonstances et nous force à être résilient, suivre un personnage qui se recompose sans cesse, ça aide.

Doctor Who is the new Jules Verne

Cher Tristan…

Cher Tristan, un jour prochain où je te garderai, chez moi, on écoutera ensemble quelques épisodes de Doctor Who. Après, on jouera. Tu seras iel Docteur et je serai le monstre qui pue qui pète qui sent la cigarette.

Oui, on fera tout cela ensemble, si, pour une fois, tu me laisses choisir le jeu, s’entend !


LSB, Gatineau et Lac Simon, juillet 2019 et décembre 2019

L’univers poétique de Doctor Who: extraits

En plus d’être palpitantes, les aventures de iel Docteur sont pleines de poésie pour qui sait écouter.

Des fois, iel Docteur lâche une rimette, comme ce fut le cas dans un épisode récent, avec Jody Whittaker :

OK, il faut avoir regardé l’épisode pour trouver ça drôle. Malheureusement, je ne trouve pas le clip.


Iel Docteur sait bien expliquer le temps.


Iel Docteur peut expliquer les défis de l’Altérité.


«Je ne veux pas m’en aller!»



En espérant que ces quelques extraits vous donneront envie d’en apprendre plus sur iel Docteur.




*Évidemment, tous les droits des images et des clips appartiennent à la BBC.

*Vous pouvez visionner davantage d’extraits du show sur la chaine youtube de Doctor Who.